Quand la pollution sonore nuit à la santé

C’est une étude* de l’Agence européenne de l’environnement, dévoilée le 12 décembre 2024, qui interpelle. Elle révèle qu’en Europe, plus d’un demi-million d’enfants souffrent de difficultés de lecture à cause de l’exposition au bruit des transports. Mais la pollution sonore peut entraîner bien d’autres problèmes de santé.
Les explications du Pr Jean-Luc Puel, directeur de recherche de l’INSERM Montpellier, Président de l’Association Nationale de l’Audition.
L’Agence européenne de l’environnement estime que la pollution sonore est « l’un des facteurs environnementaux les plus nocifs pour la santé en Europe après la pollution de l’air. » Quelles sont les différentes répercussions du bruit sur l’organisme ?
– Pr Jean-Luc Puel : Les plus connues sont les effets sur l’audition des bruits trop forts : la baisse d’acuité auditive, et les acouphènes. L’exposition prolongée à des bruits intenses détruit peu à peu les cellules ciliées de l’oreille interne. Au travail, cette exposition au bruit est désormais plutôt bien réglementée. La législation impose par exemple un niveau sonore inférieur à 80 décibels pour une journée de travail de huit heures. Au-delà, le port de protections est obligatoire. C’est le cas, par exemple, pour les ouvriers travaillant sur des chantiers. C’est une obligation de protection qui incombe aux chefs d’entreprise. Ce qui est problématique, ce sont les bruits de loisirs, qui ne sont pas aussi bien réglementés. Concerts, boîtes de nuit, mais aussi cinémas, et jusqu’aux piscines et aux salles de jeux pour les enfants, notre société est de plus en plus bruyante. Or, si vous souhaitez protéger votre audition, vous ne devriez pas rester moins de trois minutes sans protection dans une boîte de nuit, où la musique s’élève à 100 dB.
Plus inattendu, le bruit peut également avoir des effets sur la santé cardiovasculaire. Comment l’expliquer ?
– Pr J-L. P. : Le bruit est un signal d’alarme. À l’origine, le système auditif a été conçu pour ça, mettre l’organisme en alerte. Le bruit agit comme un excitant. Dans la nature, par exemple, c’est ce qui va inciter les animaux à fuir, ou à attaquer, dès qu’ils entendront un bruit. Cela enclenche les mécanismes du stress. Et plus le bruit est fort, plus il est stressant. D’ailleurs, après une journée passée dans un milieu bruyant, on est exténué. De manière générale, plus il y a de bruit autour de vous dans la journée, plus vous risquez de développer les symptômes du stress : fatigue, irritabilité… Ce stress, vous le ramenez à la maison, ce qui peut entraîner des problèmes de sommeil. C’est un véritable cercle vicieux. Lorsqu’une personne stresse, notamment à cause du bruit, le cerveau, lui, perçoit un danger. Il envoie un message aux glandes surrénales qui relâchent dans le corps des hormones comme de l’adrénaline et du cortisol, entraînant des réactions physiologiques en cascade. L’une d’entre elles, c’est l’accélération des battements du cœur. Et si le stress n’est pas la cause principale de l’hypertension artérielle, il peut la favoriser, voire l’aggraver. Cela augmente le risque cardiovasculaire. À long terme, ce stress lié au bruit peut mener à l’infarctus du myocarde et à l’accident vasculaire cérébral (AVC).
Lorsqu’une personne stresse, notamment à cause du bruit, le cerveau, lui, perçoit un danger. Il envoie un message aux glandes surrénales qui relâchent dans le corps des hormones comme de l’adrénaline et du cortisol, entraînant des réactions physiologiques en cascade.
Plusieurs études ont montré que vivre dans des zones particulièrement bruyantes, notamment à proximité d’un aéroport ou d’une autoroute, n’était pas bon pour la santé…
– Pr J-L. P. : Oui, tout à fait. L’une d’entre elles révélait que les personnes habitant près d’un aéroport ou d’une autoroute consommaient deux fois plus de médicaments que les autres, notamment des anxiolytiques et des somnifères. Vous dormez moins bien dans le bruit chronique, assurément. Le sommeil est moins réparateur lorsqu’il est fragmenté. Mais des bruits intenses, même s’ils sont ponctuels, peuvent aussi fortement perturber le sommeil. C’est le cas du scooter sans pot d’échappement, qui va traverser une ville en pleine nuit, et réveiller des milliers de gens sur son passage. Par ailleurs, il faut distinguer le niveau sonore, et la connotation qu’on donne aux bruits entendus. Par exemple, le ressac de l’océan fait autant de bruit qu’une autoroute. Mais quand le premier va bercer et vous endormir, les nuisances sonores de la seconde vont provoquer des troubles du sommeil.
Comment se protéger des nuisances sonores ?
– Pr J-L. P. : La première protection, quand c’est possible, c’est tout simplement d’éviter l’exposition au bruit. Quand on ne peut pas y échapper, il faut se protéger grâce à des bouchons filtrants, à des casques réducteurs de bruit… Ce dont on ne se rend pas souvent compte, c’est que nous sommes parfois nous aussi des pollueurs sonores. Par exemple quand nous téléphonons avec le haut-parleur dans le train. C’est un bruit stressant pour ceux qui sont autour, même si le bruit n’est pas très fort. Il est important d’adopter un comportement civique. Il faut se protéger soi-même de la pollution sonore, mais on peut aussi protéger les autres. Il faut notamment protéger les plus petits, car leurs oreilles sont particulièrement fragiles jusqu’à 3 ans.