Accueil · Notre observatoire · Le point sur la pollution de l’air et ses dégâts sur la vision

Le point sur la pollution de l’air et ses dégâts sur la vision

Les particules fines font planer une épée de Damoclès au-dessus de notre santé respiratoire et cardiovasculaire. Ces effets sont connus et largement documentés dans la littérature scientifique. Mais un autre organe souffre lui aussi en silence : nos yeux. Les explications du Pr Christophe Baudouin, chef de service à l’hôpital national des Quinze-Vingts, à Paris.

Elles sont imperceptibles à l’œil nu, et pourtant redoutables. Les particules fines – ces poussières de moins de 2,5 microns de diamètre, soit vingt fois plus fines qu’un cheveu – viennent de plusieurs sources, surtout humaines : trafic routier, chauffage, agriculture, travaux publics… Elles s’immiscent dans nos voies respiratoires, pénètrent la circulation sanguine et provoquent une cascade de réactions inflammatoires. En France, elles seraient responsables de près de 40.000 décès prématurés chaque année.
Mais leurs effets ne s’arrêtent pas aux poumons et au cœur : les yeux, constamment exposés à l’environnement extérieur, en sont aussi les victimes silencieuses. « Lors des pics de pollution, on observe une augmentation des passages aux urgences ophtalmologiques », souligne le Pr Baudouin. Irritations, rougeurs, démangeaisons, sensations de brûlure ou sécheresse oculaire sont alors plus fréquentes. Ces symptômes sont souvent transitoires. Mais ils traduisent un déséquilibre profond du film lacrymal, ce liquide contenant de l’eau, du sel, des lipides et des substances antibactériennes, véritable bouclier protecteur de la surface de l’œil.

Tous les yeux ne réagissent pas de la même façon

« Tout le monde n’y est pas sensible de la même manière », rappelle le Pr Baudouin. « Les personnes allergiques, celles souffrant de sécheresse oculaire, ou les porteurs de lentilles de contact sont les plus vulnérables. » Normalement, le film lacrymal protège l’œil en le lubrifiant et en éliminant les micro-agressions extérieures. Ce liquide, composé d’eau, mais aussi de sel, de lipides et de substances antibactériennes, permet d’apaiser une irritation, ou de balayer des poussières, jouant ainsi le rôle de garde du corps de la cornée. Mais les polluants atmosphériques -particules fines, dioxyde d’azote…- perturbent cet équilibre fragile, accélérant l’évaporation des larmes et provoquant une inflammation chronique de la surface oculaire. À long terme, cela peut devenir un facteur aggravant de pathologies plus graves.

Pollution et DMLA : un risque clairement documenté

La dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) est la première cause de malvoyance sévère chez les plus de 65 ans. Elle résulte d’une usure progressive de la macula, la zone centrale de la rétine. Plusieurs études internationales ont mis en évidence une association entre exposition prolongée aux polluants atmosphériques et risque accru de développer une DMLA. « Face au stress oxydatif induit par la pollution, nous disposons de systèmes de défense naturels. Mais ces systèmes déclinent avec l’âge. »Résultat : les cellules rétiniennes deviennent plus vulnérables à l’agression des radicaux libres. Ce ne sont pas des polluants en eux-mêmes, mais des molécules produites par notre organisme lorsqu’il réagit à une agression, comme la pollution.

. « Ce phénomène est encore aggravé par d’autres facteurs de risque : tabagismealimentation pauvre en antioxydants et en oméga-3… »

Cataracte : un vieillissement accéléré du cristallin

La cataracte correspond à l’opacification progressive du cristallin, cette lentille naturelle de l’œil qui permet de focaliser la lumière. Si elle est le plus souvent liée au vieillissement, plusieurs travaux suggèrent que la pollution atmosphérique pourrait accélérer ce processus. Les particules fines et les gaz oxydants favoriseraient ainsi l’oxydation des protéines du cristallin, réduisant sa transparence. Certaines recherches menées en Asie, où les niveaux de pollution sont particulièrement élevés, ont montré une prévalence plus importante de cataractes précoces dans les zones urbaines très exposées. Cette hypothèse est cohérente avec ce que l’on sait du stress oxydatif, mécanisme central du vieillissement oculaire.

Glaucome : une piste émergente

Maladie neurodégénérative du nerf optique, le glaucome se caractérise par un amincissement de la couche des fibres nerveuses de la rétine. Souvent silencieux au début, il conduit à une perte progressive et irréversible du champ visuel. Il est associé à une pression intraoculaire trop élevée. Mais l’exposition à la pollution pourrait être un facteur de risque supplémentaire. Des chercheurs de l’Inserm et de l’Université de Bordeaux ont suivi pendant dix ans 683 personnes âgées de plus de 75 ans. Leur étude a montré un amincissement accéléré de la couche des fibres nerveuses de la rétine chez les individus les plus exposés aux particules fines. Publiés en juillet 2023 dans la revue Environmental Research*, ces résultats suggèrent que l’exposition à une forte concentration de polluants au cours du temps pourrait accentuer la neurodégénérescence rétinienne, et donc augmenter le risque de glaucome. Bien que cette piste reste encore exploratoire, elle confirme l’impact global et profond de la pollution atmosphérique sur les tissus oculaires.

Comment se protéger au quotidien ?

Échapper totalement aux polluants atmosphériques est impossible. Mais certains gestes simples permettent de limiter leur impact. « Lors des pics de pollution, Il vaut mieux réduire le temps passé à l’extérieur, surtout près des axes routiers très fréquentés. » Il faut aussi éviter de se frotter les yeux, car cela accentue l’irritation et favorise la pénétration des particules. « En cas de sécheresse, il faut penser à hydrater régulièrement ses yeux avec des larmes artificielles. » Enfin, agir sur son hygiène de vie -arrêter de fumer, adopter une alimentation riche en antioxydants et en oméga-3- contribue à renforcer les défenses naturelles de l’œil contre le stress oxydatif.

Quand consulter ?

En cas de gêne persistante -rougeur chronique, baisse de vision, douleurs- il est essentiel de consulter rapidement un ophtalmologiste. Certaines pathologies, comme le glaucome ou la DMLA, évoluent silencieusement. Un diagnostic précoce permet de freiner leur progression et de préserver la vision.

https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0013935123011684