
Les tests auditifs, une nouvelle clé pour mieux comprendre les vertiges
Avoir soudain la tête qui tourne, l’impression que tout autour de soi se met à bouger, ou sentir le sol se dérober sous ses pieds : les troubles de l’équilibre sont très désagréables à vivre. Longtemps, ils ont été considérés comme relevant exclusivement de l’organe de l’équilibre. Mais si l’audition pouvait, elle aussi, en dire plus sur leur origine ? C’est l’hypothèse qu’a explorée l’équipe de Jean-Luc Puel, responsable du groupe Audition à l’Institut des neurosciences de Montpellier (INM).
Les troubles de l’équilibre touchent 20 à 30 % de la population adulte. De quoi s’agit-il exactement ?
Jean-Luc Puel : Ces troubles se manifestent de plusieurs façons : vertiges véritables – la sensation que tout tourne autour de soi-, instabilité ou simple impression de déséquilibre. Certains épisodes sont brefs, de l’ordre de quelques secondes, comme les vertiges positionnels bénins qui apparaissent lors d’un changement brusque de position, par exemple au moment du lever. D’autres, comme les névrites vestibulaires, provoquent des vertiges intenses, continus pendant plusieurs jours, obligeant parfois le patient à rester alité. Environ la moitié de ces troubles ont une origine périphérique, liée à une atteinte de l’oreille interne, et l’autre moitié une origine centrale, c’est-à-dire cérébrale : maladie de Parkinson, tumeur, séquelles d’AVC… L’enjeu est de déterminer d’où vient la défaillance pour pouvoir la traiter.
Aujourd’hui, pour préciser l’origine de ces troubles, les médecins utilisent surtout des tests vestibulaires. En quoi consistent-ils ?
J-L. P. : Ils évaluent la fonctionnalité du vestibule, l’organe de l’équilibre, situé dans l’oreille interne. L’un d’entre eux est le test calorique, qui consiste à injecter de l’eau chaude ou froide dans le conduit auditif. Cette stimulation thermique provoque un mouvement des liquides de l’oreille interne et déclenche une réaction oculaire – un nystagmus – dont on mesure la direction et la vitesse. En comparant les réponses des deux côtés, on peut repérer un éventuel dysfonctionnement.
Autre méthode, le Head Impulse Test. Cet examen consiste à donner au patient des impulsions brèves de la tête dans les trois dimensions de l’espace pour déterminer quelle partie du vestibule dysfonctionne. Le patient doit fixer une cible située en face de lui. Une caméra embarquée dans un masque mesure la coordination entre le mouvement de la tête et celui de l’œil, un indicateur clé du réflexe vestibulo-oculaire.
Le test rotatoire, lui, place le patient sur un fauteuil tournant à droite et à gauche. On vérifie alors si les deux vestibules coopèrent correctement et si, à l’arrêt du fauteuil, les yeux cessent normalement de bouger.
Ces tests sont précieux, mais présentent certaines limites…
J-L. P. : En effet. Ils sont souvent longs et inconfortables. Le test calorique, par exemple, peut déclencher nausées ou vomissements. Par ailleurs, ces tests peuvent être difficiles à interpréter. Leurs résultats peuvent varier selon l’état de vigilance, la concentration ou la fatigue du patient.
Au-delà de leur proximité géographique, quels sont les points communs entre le vestibule et la cochlée ?
J-L. P. : Le vestibule, organe de l’équilibre, et la cochlée, organe de l’audition, sont baignés par les mêmes liquides. Tous deux sont tapissés de cellules ciliées, ces cellules qui traduisent les vibrations ou les mouvements en signaux nerveux. Cette parenté explique qu’ils puissent être affectés ensemble par certaines pathologies. C’est le cas de la maladie de Ménière, qui associe crises de vertiges de quelques heures, perte auditive progressive dans une seule oreille et acouphènes.
Qu’est-ce qui vous a amené à poser l’hypothèse que des tests auditifs pourraient aider à mieux connaître l’origine des vertiges ?
J-L. P. : La proximité anatomique et fonctionnelle entre cochlée et vestibule nous a interpellés. Nous avons formulé l’hypothèse qu’un dysfonctionnement de l’un pouvait se refléter dans l’autre : par exemple, que la cochlée et le vestibule vieillissent ensemble. Nous avons donc voulu vérifier si des tests auditifs simples comme l’audiométrie pouvaient compléter les tests vestibulaires classiques. L’audiométrie est un test robuste, non invasif et rapide, intégré dans la pratique de tous les ORL. Démontrer qu’un test auditif aussi simple puisse apporter une information fiable sur la nature ou l’étendue des troubles de l’équilibre représenterait une avancée précieuse pour le diagnostic.
Vous avez analysé les données de 1115 patients ayant consulté pour des troubles de l’équilibre entre 2015 et 2020. Quels enseignements en avez-vous tiré ?
J-L. P. : Ces patients avaient passé les tests vestibulaires et neurologiques habituels, mais aussi des tests d’audition. En regroupant les profils similaires, nous avons distingué six grands types de patients. Près d’un sur deux présentait une audition normale : il s’agissait surtout de personnes jeunes, majoritairement des femmes, souffrant principalement de migraines vestibulaires – des vertiges épisodiques, sans rapport avec un changement de position, souvent associés à des maux de tête. Enfin, chez les personnes souffrant d’une perte auditive asymétrique – une oreille plus touchée que l’autre -, les troubles de l’équilibre provenaient souvent d’une atteinte vestibulaire du même côté (comme une névrite vestibulaire) ou d’une pathologie de l’ensemble de l’oreille interne, telle que la maladie de Ménière.
Quelle conclusion en tirez-vous ?
J-L. P. : Nos résultats montrent qu’il existe une corrélation forte entre le profil auditif et l’état du vestibule. Lorsqu’un patient présente une perte auditive particulière, cela peut orienter le clinicien sur la nature et la localisation du trouble vestibulaire. Les tests auditifs ne remplaceront pas les tests vestibulaires, mais ils peuvent les compléter et les affiner, notamment lorsque ces derniers sont difficiles à réaliser ou donnent des résultats ambigus. À terme, nous espérons simplifier le parcours diagnostique des patients souffrant de vertiges, en intégrant plus systématiquement les tests auditifs dans les bilans d’équilibre. Cela permettrait de gagner du temps, d’éviter certains examens lourds et d’orienter plus rapidement vers la bonne prise en charge*.
*Source : Nicolas-Puel C. et coll. Audiometry as a predictive proxy for balance dysfunction. Scientific Reports, avril 2025 ; doi : 10.1038/s41598-025–97995‑0