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Le métier d’oculariste, rendez-vous en terre méconnue

C’est une profession confidentielle, et pourtant absolument essentielle. Les ocularistes réparent les regards abîmés par une maladie ou un accident. Rencontre avec l’un d’entre eux, Cyrille Ey, oculariste indépendant dans le Grand Est.

Prothèse oculaire

©Cyrille Ey

Qu’est-ce qu’un oculariste ?

Cyrille Ey : C’est un professionnel de santé qui fabrique et pose des prothèses oculaires pour des personnes ayant perdu un œil, ou ayant un œil malade. Nous équipons des personnes qui ont perdu tout leur globe oculaire, ou d’autres qui ont, suite à une maladie ou un accident, un œil inesthétique.

Pouvez-vous nous donner plus de détails sur les personnes que vous accompagnez ?

C.E. : Il y a celles qui ont été énucléées, c’est-à-dire que leur globe oculaire a été retiré en entier, en préservant les paupières, les muscles oculomoteurs et la graisse orbitaire. Cela peut intervenir suite, par exemple, à un cancer de la rétine. Le globe oculaire est retiré pour éviter que les cellules tumorales ne se propagent à d’autres parties du corps. Il y a aussi celles qui ont eu une éviscération. Cette opération chirurgicale consiste à retirer le contenu du globe oculaire (cristallin, iris, rétine…), tout en conservant la sclère , cette sorte de coque qui protège l’œil, et les muscles oculomoteurs. En général, elle est pratiquée sur des yeux non-voyants, et quand les patients souffrent tellement des yeux que l’opération devient indispensable. La pose d’une prothèse est alors indiquée pour combler cette perte. La perte partielle ou complète d’un œil peut avoir de très nombreuses origines : un bouchon de champagne qui a percuté l’œil, une bagarre, un accident de moto, des éclaboussures de produits chimiques… Il y a aussi encore trop d’accidents professionnels, quand des mécaniciens, des carreleurs… ne portent pas leurs lunettes de protection. Certains enfants ont un œil pathologique de naissance. Il est alors possible de leur mettre une prothèse avant l’âge de 1 an.

Les prothèses oculaires en verre ne sont plus posées en France depuis très longtemps. Avec quel matériau sont-elles aujourd’hui fabriquées ?

C.E. :  Elles sont en résine plastique. Ce matériau permet aux patients de dormir, de faire du sport, d’aller à la piscine… avec leur prothèse. La première étape pour que cette dernière soit bien adaptée, c’est la prise de l’empreinte, comme un dentiste pourrait le faire pour une dent avec une pâte. Cela nous permet de créer un moule. Puis on y met la résine, et on fait cuire pendant 1h à 93°C. Avant la fabrication, nous prenons des photos de l’œil sain à côté d’une forme blanche afin d’avoir un modèle de couleur pour la sclère (blanc de l’œil), pour ensuite pouvoir choisir la bonne teinte de résine à utiliser.

« Mon objectif est d’être, esthétiquement, le plus proche possible de cet œil sain, et d’obtenir le résultat le plus naturel possible. »

Mon objectif est d’être, esthétiquement, le plus proche possible de cet œil sain, et d’obtenir le résultat le plus naturel possible. Tout est fait à la main, il n’y a pas de machine. Pour peindre l’iris, par exemple, j’utilise des pigments naturels : le noir profond, le blanc de titane, le jaune ocre, la terre de sienne et la terre brûlée. Ces 5 pigments suffisent pour créer n’importe quelle couleur. Pour recréer la vascularisation de l’œil, j’effile de la laine rouge que je vais venir coller sur la sclère. La création d’une prothèse nécessite en moyenne 7 heures de travail. C’est du sur-mesure, au millimètre près, ce qui évite bien des douleurs (frottements, brûlures, irritations…) au patient. La prothèse doit tenir compte de l’esthétique, mais aussi du confort du patient. Je veux, pour eux, que tout soit le plus parfait possible. Une prothèse coûte, en moyenne, entre 700 et 1100€. La Sécurité sociale prend en charge 100% du coût. Le patient n’a pas besoin de faire d’avance de frais.

En quoi consiste l’entretien de la prothèse ?

C.E. : Je conseille de la faire polir par un oculariste tous les deux à trois mois. Tous les jours, des micro protéines se déposent sur la prothèse. La nettoyer et la polir régulièrement permet à la paupière de continuer à bien glisser, et évite les irritations. C’est aussi l’occasion de vérifier qu’il n’y a pas un autre problème. Au-delà de cet entretien, il est important de changer régulièrement la prothèse, même si celle-ci est garantie 6 ans. Pour garantir son confort, une prothèse se change en moyenne tous les deux-trois ans. Plus fréquemment pour les enfants, pour s’adapter au rythme de leur croissance. À cet âge-là, c’est comme pour des chaussures qu’il faut changer très souvent pour que l’enfant reste confortable. Au-delà de l’esthétique et du confort, la prothèse en cette période de croissance permet aussi de faire grandir la cavité en même temps que le reste du visage. Cela permettra d’éviter une asymétrie faciale, irréversible une fois adulte.

Cela leur redonne confiance en eux ?

C.E. : Oui, tout à fait. Nous ne redonnons pas la vue, mais nous embellissons le regard de ceux qui l’ont perdue. Ils ne se cachent plus, ils n’ont plus honte. Cela change véritablement leur vie. Beaucoup me disent J’aurais dû le faire plus tôt. Quand le globe oculaire est manquant, ou très abîmé, cela impacte beaucoup la vie sociale et professionnelle.