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Optique et posturologie

Les yeux peuvent-ils jouer un rôle sur notre posture ?

Oui, répond le Dr Alain-Nicolas Gilg, ophtalmo-posturologue. Il nous explique pourquoi et ce que cela peut signifier pour notre santé.

Qu’est-ce que la posturologie ?

C’est une méthode d’étude de la posture, la manière qu’a une personne de se tenir debout, quand elle est immobile ou en mouvement. Elle touche à différentes disciplines. Une mauvaise posture peut avoir de nombreuses conséquences sur le corps, souvent insoupçonnées.

Quel est le lien avec les yeux ?

Dr Alain-Nicolas Gilg : Le système postural est formé de très nombreux capteurs -ou entrées posturales- qui envoient des informations sensorielles au cerveau : la bouche, le musculo-squelette, les pieds, l’oreille interne, les cicatrices sur le corps… Ces capteurs sensoriels sont situés dans tous nos muscles, y compris au niveau des muscles oculomoteurs, qui jouent un rôle central. On peut voir l’œil comme une articulation. Six muscles oculomoteurs le stabilisent dans l’orbite, et lui permettent de se mouvoir dans n’importe quelle direction. Ce sont ces muscles qui transmettent au cerveau des informations sur le positionnement de l’œil. En retour, le cerveau envoie des ordres pour ajuster en permanence la posture. Quand l’œil est mal positionné, le cerveau reçoit de mauvaises informations. Une déficience de ce système peut entraîner de nombreux troubles, physiques comme cognitifs. Le premier ophtalmologue à s’être intéressé à la posture se nomme Jean-Bernard Baron. Il a décrit dans une thèse en 1955 son expérience sur les muscles oculomoteurs et la posture. Il y montrait qu’agir sur une seule entrée (ou capteur) du système postural -en l’occurrence, ici, les muscles oculomoteurs- avait des répercussions sur d’autres parties du corps.

Qu’est-ce que le syndrome de déficience posturale (SDP) ?

Dr A.-N. G. : Il a été défini par Henrique Martins da Cunhà comme un « ensemble de signes cliniques dus à une altération de l’équilibre tonique, oculaire et postural secondaire à un déficit affectant le système d’information proprioceptive et le système d’information visuelle. » Autrement dit, c’est un trouble fonctionnel dans lequel les capteurs posturaux ne donnent pas la bonne information. Si ce défaut concerne les yeux, cela peut se traduire par des difficultés lors de la lecture. Car si le cerveau n’a pas conscience de la direction des yeux vers une page, la personne va lire en sautant des lignes. Elle peut aussi se cogner contre une porte alors qu’elle l’avait vue, ou se tordre la cheville sur le trottoir. Il y a comme des interruptions d’informations. Chez les enfants, cela peut jouer un rôle important dans les troubles de l’attention et des apprentissages, comme la dyslexie, la dyspraxie, ou bien encore la dysorthographie. Ils vont aussi être considérés comme maladroits, par exemple parce qu’ils renversent fréquemment leur verre, alors qu’ils l’ont bien vu. Chez les adultes, cela peut entraîner une fatigue chronique, des douleurs, des migraines, des troubles pseudo-vertigineux…

Chez les enfants, le syndrome de déficience posturale peut jouer un rôle important dans les troubles de l’attention et des apprentissages, comme la dyslexie, la dyspraxie, ou bien encore la dysorthographie.

Qu’est-ce qui doit pousser à consulter un ophtalmo posturologue ?

Dr A.-N. G. : Dès que l’origine d’un trouble est difficilement identifiable, malgré la consultation d’un médecin, il faut penser au syndrome de déficience posturale. Le SDP est une pathologie fonctionnelle, très handicapante, reposant sur une dysfonction du système postural. Il est essentiel d’éliminer toute pathologie organique avant d’envisager ce diagnostic. Mais il faut y penser notamment devant des céphalées, la diplopie (vision double), des douleurs dorsales ou lombaires ou encore devant une suspicion de troubles des apprentissages chez un enfant. L’hypothèse posturale doit aussi être évoquée face à des sensations vertigineuses, dès lors que le bilan neurologique et ORL ne montrent pas d’atteinte lésionnelle. C’est une pathologie méconnue, mais très fréquente.

En quoi consiste l’examen postural ?

Dr A.-N. G. : Il est essentiellement clinique. Nous commençons par un examen visuel classique, dans lequel nous allons contrôler l’acuité visuelle, examiner en détail l’œil et l’état de la cornée, mesurer la pression intra-oculaire, observer le fond de l’œil… Mais nous allons plus loin que cet examen. On ne se contente pas d’évaluer l’acuité visuelle en faisant lire au patient des rangées de lettres ! S’il vient pour une migraine, par exemple, après avoir écarté les causes classiques, nous cherchons si la migraine peut avoir une origine posturale. On va analyser un capteur après l’autre, pour voir d’où peut venir le problème. On teste l’asymétrie avec différents capteurs. L’idée est de détecter un éventuel dérèglement. Une cicatrice, des pieds plats… peuvent être à l’origine d’un déséquilibre sur le corps entier. Nous testons donc les capteurs l’un après l’autre. On va par exemple demander au patient de tourner la tête lentement au maximum à droite puis à gauche, de faire des flexions… pour voir si la colonne vertébrale est bien positionnée, s’il n’y a pas de déséquilibre. Les pieds peuvent être analysés à l’aide d’un podoscope, pour chercher des asymétries grâce aux empreintes plantaires. En arrivant aux yeux, on peut par exemple demander au patient de fermer un œil, puis l’autre.

Il est absolument indispensable de travailler en réseau de praticiens, pour aider au mieux nos patients. La précision dans la prise de mesures, le montage des verres et un suivi régulier par un opticien sont essentiels pour que les prismes posturaux soient pleinement efficaces.

Face à un syndrome de déficience posturale, existe-t-il des traitements ?

Dr A.-N. G. : Oui, nous pouvons faire une reprogrammation posturale lorsque l’anomalie provient des yeux. L’idée va être de stimuler les muscles soutenant les yeux pour leur redonner les bonnes informations. Dans cette optique, nous pouvons prescrire des lunettes à prismes posturaux. Ces lunettes dévient les images pour que le cerveau reçoive à nouveau des informations exactes. Le patient doit les porter le plus souvent possible. Cela peut être perçu par une contrainte, notamment chez les enfants, mais c’est absolument indispensable pour que le traitement soit efficace. Dans l’idéal, il devra les porter toute la journée, dès qu’il sort du lit, pour toutes ses activités, pour que le cerveau reçoive à nouveau des informations exactes. Il faut porter ces lunettes dix à douze mois. L’arrêt sera ensuite progressif.

Vous dites que le traitement doit être pluridisciplinaire…

Dr A.-N. G. : En effet, il est absolument indispensable de travailler en réseau de praticiens, pour aider au mieux nos patients. La précision dans la prise de mesures, le montage des verres et un suivi régulier par un opticien sont essentiels pour que les prismes posturaux soient pleinement efficaces. Un ophtalmologue posturologue devra aussi s’entourer d’ostéopathes, d’occlusodontologues (la discipline qui traite des contacts interdentaires entre les arcades maxillaire -en haut-, et mandibulaire -en bas), de podologues, de kinésithérapeutes ou ostéopathes spécialistes de la respiration diaphragmatique et abdominale, pour compléter le traitement au-delà des capteurs oculaires… En plus des lunettes à prismes posturaux, il pourra être intéressant, par exemple, de porter des semelles proprioceptives, conçues par un podologue.