Pr Baillif : « Les baisses de vision de la grossesse ne perdurent pas »
La grossesse entraîne de multiples bouleversements hormonaux responsables de modifications du fonctionnement de l’organisme. Elle a notamment un impact sur les yeux et la vue. Dans la majorité des cas, ces signes ne sont pas inquiétants et ne perdurent pas après la naissance.
« Les hyperacousies existent certes chez les femmes enceintes et en population générale, mais elles sont liées à des facteurs psychologiques, comme le stress ou la fatigue. Le lien de causalité avec les variations physiologiques dans l’oreille pendant la grossesse n’est pas avéré. »
– L’accouchement augmente-il réellement le risque de déchirure rétinienne ?
S. B. : Pendant longtemps, les médecins conseillaient aux femmes très myopes d’opter pour une césarienne au motif que les poussées lors de l’accouchement par voie basse étaient susceptibles de provoquer un décollement de rétine. Nous savons aujourd’hui que cette précaution n’a pas lieu d’être. Nous communiquons d’ailleurs beaucoup avec les gynécologues pour qu’ils rassurent leurs patientes myopes : il n’y a aucune raison de choisir la césarienne si la future mère ne présente pas de contre-indication gynécologique à un accouchement par voie basse. Pas plus qu’il ne faut faire d’intervention au laser sur la rétine de manière préventive.
– Selon vous, d’où venait cette crainte ?
S. B. : On redoutait l’impact des efforts de poussées sur l’organisme. Comme tous les efforts « à glotte fermée », c’est-à-dire en retenant sa respiration, tels que jouer du trombone ou soulever un objet lourd, les poussées de l’accouchement peuvent provoquer une hyper pression dans l’œil. L’excès de pression intraoculaire risque alors d’entraîner de petites hémorragies, soit dans le gel vitréen – la substance transparente et gélatineuse qui remplit l’intérieur de l’œil – soit entre la rétine et le gel vitréen, ou encore dans la rétine. Ces hémorragies se manifestent notamment par une baisse de l’acuité visuelle et une sorte de « pluie de cendre » dans le champ visuel, due à la présence de globules rouges dans le vitré.
Ces petites hémorragies peuvent également survenir pendant la grossesse, notamment lors d’efforts physiques. Dans la plupart des cas, l’hémorragie se résorbe d’elle-même. Toutefois, si elle est trop importante, il faudra la drainer par chirurgie laser. Mais cela reste extrêmement rare.
« Une patiente diabétique qui souffre déjà d’une atteinte oculaire peut ainsi avoir une progression plus rapide de sa rétinopathie diabétique du fait de sa grossesse. »
– On sait que le diabète fragilise la rétine. Cette maladie présente-t-elle des risques supplémentaires pour les femmes enceintes ?
S. B. : Il existe deux situations : d’un côté, le diabète gestationnel, qui apparaît à l’occasion de la grossesse et qui disparaît ensuite, et de l’autre, la survenue d’une grossesse chez une femme diabétique. Pour ce qui est du diabète gestationnel, nous pouvons rassurer les femmes : cette situation est très fréquente mais elle n’entraîne toutefois pas de lésion de la rétine.
Pour une femme diagnostiquée diabétique avant sa grossesse, la situation se revèle en revanche plus préoccupante. Tout ce qui déstabilise un diabète de façon aigüe est nocif pour la rétine. Or, une grossesse risque d’induire un tel changement. Une patiente diabétique qui souffre déjà d’une atteinte oculaire peut ainsi avoir une progression plus rapide de sa rétinopathie diabétique du fait de sa grossesse. Chez ces patientes, un fond d’œil par trimestre est nécessaire. Si la rétinopathie est plus sévère, un fond d’œil mensuel sera requis. En cas d’aggravation, il ne faut pas hésiter à traiter au laser.
– Quels conseils donneriez-vous à une femme diabétique souhaitant devenir mère ?
S. B. : Idéalement, une grossesse chez la femme diabétique se planifie. Il faut équilibrer la glycémie avant le début de la gestation et bien expliquer aux patientes les spécificités du suivi du diabète chez la femme enceinte : le taux de sucre sanguin ne va pas être le même du fait de la présence du bébé, les risques d’hypoglycémie ne doivent pas être négligés. D’un autre côté, un rééquilibrage trop rapide du diabète n’est pas bon pour l’œil non plus. Même si l’objectif d’une personne diabétique est de descendre à 7 % d’hémoglobine glyquée (HbA1c), c’est-à-dire de réguler de manière extrêmement fine sa glycémie (taux de sucre dans le sang), il ne faut pas non plus passer brutalement de 10 à 7 %. La vitesse d’équilibrage se détermine au cas par cas en fonction des impératifs cliniques.