
Quand les écrans faussent l’examen de la vision
Une étude marocaine présentée lors du 131e congrès de la Société Française d’Ophtalmologie (SFO) suggère qu’un rituel en apparence anodin – scroller sur son smartphone juste avant un examen de la vue – peut entraîner une surestimation de la myopie, et conduire à une prescription inadaptée. Explications.
Sortir son smartphone en salle d’attente, pour faire passer le temps, un geste anodin ? Peut-être pas pour nos yeux. C’est ce qu’a voulu vérifier le Dr Soukaina Laaouina, ophtalmologiste à l’hôpital militaire Mohammed V de Rabat. Des patients âgés de 17 à 37 ans, sans antécédents oculaires particuliers, ont été recrutés pour cette étude, afin d’évaluer l’impact de l’usage du smartphone juste avant une réfraction objective. Dans un premier temps, chaque participant a été invité à utiliser son téléphone pendant plusieurs minutes, avant de subir une mesure au réfractomètre automatique. Puis une cycloplégie – autrement dit, une paralysie temporaire de l’accommodation induite par collyre – a été réalisée. Après environ 40 minutes, la réfraction a de nouveau été mesurée. Les résultats sont sans appel. Avant cycloplégie, la mesure de réfraction indiquait en moyenne – 1,6 dioptrie : autrement dit les participants semblaient myopes. Mais une fois le muscle d’accommodation relâché par le collyre cycloplégiant, la valeur moyenne passait à +0,43D – ce qui montre que la myopie était en réalité artificielle. En clair, l’usage du smartphone avait entraîné une fausse myopie d’environ deux dioptries, réversible après repos du muscle ciliaire.
Le muscle ciliaire, au centre du jeu

Cette étude montre que l’utilisation d’un écran avant une mesure de la réfraction entraîne une surestimation de la myopie. Cette pseudo-myopie est réversible mais trompeuse, et peut entraîner la prescription de lunettes inadaptées. D’un point de vue physiologique, ce phénomène s’explique aisément. Lorsqu’on regarde un écran de près, le muscle ciliaire se contracte pour bomber le cristallin et permettre la mise au point. Après plusieurs minutes de concentration visuelle, ce muscle peine parfois à se relâcher complètement : le cristallin reste trop bombé, son pouvoir de convergence augmente, et l’image des objets lointains se forme alors en avant de la rétine, comme dans une véritable myopie. Ce trouble est transitoire, mais peut durer plusieurs minutes, parfois davantage.
Seule une période de repos visuel permet de faire une réfraction « juste », non faussée. Des affiches « ne pas utiliser un écran dans cette salle d’attente » vont-elles bientôt être exposées dans les cabinets d’ophtalmologie ? Dans un contexte où 72% de la population passe plus de 2h par jour sur les écrans et 25% plus de 5h, pour un usage personnel*, la question mérite d’être posée. Sans aller jusque-là, ne pas consulter son smartphone au moins dans les 30 à 60 minutes précédant un examen de la vue semble une bonne idée. Une petite déconnexion qui laisse le temps au muscle ciliaire de se détendre, pour garantir une mesure plus fiable.
*selon l’édition 2025 du Baromètre du numérique, réalisé par le CREDOC pour l’ARCEP, l’ARCOM, le CGE et l’ANCT.