Une greffe d’œil pour inverser la cécité, un rêve bientôt réalité ?

Des personnes aveugles pourront-elles un jour retrouver la vue grâce à une greffe d’œil ? À écouter les chercheurs, la question n’est pas de savoir si cela est possible, mais plutôt quand ce projet ambitieux se concrétisera. Les récents travaux de chercheurs américains, très prometteurs, nourrissent cet espoir.
En novembre 2023, des chirurgiens de l’hôpital universitaire de New York (NYU) réalisaient une véritable prouesse : la transplantation d’un œil complet, en même temps qu’une greffe partielle de visage. Le patient : un ancien militaire américain. Mais malgré quelques signes de régénération, l’œil est resté aveugle. Il faut reconnaître que cette transplantation avait avant tout une visée esthétique. Le rêve de greffer un œil entier n’est pas nouveau. Fin du XIXe siècle, un chirurgien français greffait l’œil d’un lapin à une jeune fille aveugle. La procédure échoua pour de nombreuses raisons, ainsi que les tentatives suivantes. Mais les chercheurs ont beaucoup appris au fil des ans.
Le nerf optique, le plus grand défi
Rendre la vue à une personne aveugle pourrait bientôt devenir possible… à condition de savoir comment surmonter le plus grand obstacle, selon les experts : régénérer le nerf optique endommagé. Ce nerf, parce qu’il transporte les messages visuels de l’arrière de l’œil vers le cerveau, est responsable de la vision. Attacher avec succès le nerf optique est l’une des parties les plus complexes de la procédure. C’est comme réparer une connexion électrique cassée, pour que les signaux de l’œil puissent bien être transmis au cerveau. Si l’œil perçoit, c’est le cerveau qui donne du sens aux images. Au-delà du nerf optique, les spécialistes devront donc aussi veiller à ce que le cerveau se réorganise correctement. Cet organe devra recréer des connexions neuronales, et accepter le nouvel œil. Et ce n’est pas tout ! Post opération, il faut imaginer le meilleur traitement immunosuppresseur, pour garder l’inflammation sous contrôle, et que le nouvel œil ne soit pas vu comme un intrus et rejeté par l’organisme.
Vers une quête d’une greffe oculaire complète
Les chirurgiens ophtalmologistes savent aujourd’hui -très bien- opérer une cataracte, effacer une myopie avec un laser, ou faire une greffe de cornée, cette enveloppe fine et transparente qui recouvre l’œil. Mais ils ne savent pas encore restaurer la vision en greffant un œil entier. De nombreux chercheurs tentent de trouver des solutions aux épineux problèmes précédemment énoncés. Dans ce marathon vertueux, une équipe américaine semble bien placée pour franchir en premier la ligne d’arrivée. Cette équipe, de l’Université Anschutz du Colorado, est dirigée par une chirurgienne et chercheuse, le Dr Kia Washington. Elle a récemment reçu 46 millions de dollars de la part de l’Advanced Research Projects Agency for Health (ARPA-H) pour poursuivre ses recherches. Cette agence finance quatre équipes de recherche aux États-Unis, pour un montant total de 125 millions de dollars. Tous ces experts -ophtalmologues, chirurgiens spécialistes en transplantations, neuroscientifiques, immunologistes, ingénieurs biomédicaux…- doivent unir leurs compétences pour arriver au même objectif.
La mission, qu’ils ont acceptée : d’ici quelques années, pouvoir transporter l’œil d’un donneur sans rien altérer de sa qualité. Puis le greffer au receveur, dans la bonne position, réattacher les muscles et les vaisseaux sanguins, et reconnecter le nerf optique. « Ce n’est pas une tâche facile », a reconnu la brillante chercheuse lors d’une conférence de presse. « Mais nous pensons que les grands progrès réalisés au cours des deux dernières décennies dans les domaines de la technologie, de la chirurgie de transplantation et de la médecine restaurative rendent maintenant possible la restauration de la vision. » De fait, les progrès sont nombreux. Une des difficultés est d’assurer un approvisionnement en sang suffisant autour de l’œil pendant l’opération. Or, certains experts, grâce à des techniques microchirurgicales, savent d’ores et déjà « coudre » ensemble de minuscules vaisseaux et veines, un pas important pour la réussite de l’opération. Si les membres de l’équipe ont déjà fait des études sur des rats, ils prévoient de travailler sur de plus grands animaux pour élaborer des stratégies de régénération du nerf optique, et tester des traitements immunosuppresseurs.
Une révolution en préparation
L’œil fait partie des rares organes -avec l’oreille interne, la moelle épinière, et le cerveau- dont la transplantation n’est, à l’heure actuelle, pas un succès. La greffe du cerveau a bien été tentée, mais les neurones ne supportent pas le manque d’irrigation sanguine pendant l’opération. « La capacité du cerveau à s’adapter et à se réorganiser est bien plus importante que ce que nous pensions au départ. J’ai l’espoir de voir un jour une personne aveugle de naissance retrouver la vue. Je pense que ça arrivera dans les dix à vingt prochaines années », s’enthousiasme le Dr Kia Washington dans un communiqué. L’œil pourrait ainsi, peut-être, rejoindre le rein, le foie, le cœur, le poumon et le pancréas sur la liste des organes les plus greffés.
Encore mieux, l’équipe espère que son travail pourra servir à d’autres parties du corps. « Les techniques que nous développons pourraient permettre de guérir la cécité, mais aussi d’offrir de nouvelles pistes de traitements pour des pathologies neurodégénératives qui touchent le système nerveux central, notamment les dommages faits à la moelle épinière ou au cerveau. Et pourquoi pas, pour contrer des maladies neurodégénératives comme Alzheimer ou la maladie de Parkinson. » Cela serait une révolution, assurément. Mais l’histoire de la médecine en est jalonnée. Oui, l’espoir d’une greffe d’œil réussie est bien réel !