Accueil · Notre observatoire · Voir l’invisible : des lentilles de contact révolutionnaires

Voir l’invisible : des lentilles de contact révolutionnaires

Des lentilles capables de faire voir l’invisible : ce n’est plus un rêve, c’est une découverte scientifique. Pour la première fois, des chercheurs ont permis à des volontaires de percevoir la lumière infrarouge, yeux ouverts… ou même fermés. Une révolution qui pourrait, demain, améliorer la vision des daltoniens.

© Suzanne Léger, Interscript inc.

Des lentilles gorgées de nanoparticules

Leur secret ? Des nanoparticules intégrées dans un polymère souple, totalement inoffensif pour l’œil, comparable à celui des lentilles classiques. Ces minuscules particules, composées entre autres de fluorure de sodium et de métaux comme le gadolinium, l’ytterbium ou l’or, ont une propriété fascinante : elles absorbent les rayons infrarouges et les transforment en lumière visible. Autrement dit, elles convertissent un signal invisible pour nous en une couleur que notre rétine peut capter. Les chercheurs ont même mis au point des nanoparticules capables d’émettre différentes couleurs selon la longueur d’onde absorbée : par exemple, un infrarouge à 980 nm devient bleu, un autre à 808 nm devient vert, et à 153 nm il se transforme en rouge. Résultat : non seulement nous voyons l’infrarouge, mais nous pouvons aussi en distinguer les nuances. Contrairement aux lunettes de vision nocturne, ces lentilles n’ont pas besoin de batterie. Parce qu’elles sont transparentes, elles laissent passer la lumière visible tout en ajoutant ce nouveau canal de perception. L’utilisateur voit donc « normalement », mais enrichi d’une vision augmentée.

Des tests concluants sur les animaux, puis sur les humains

Les premiers essais ont été réalisés sur des souris. Exposées à une source infrarouge, leurs pupilles se contractaient, comme si elles réagissaient à une lumière visible. Des images de leur cerveau ont confirmé que les zones visuelles s’activaient bien, preuve qu’elles percevaient cette nouvelle information. Chez l’être humain, les résultats ont été tout aussi étonnants. Les volontaires équipés de ces lentilles ont pu détecter des signaux infrarouges clignotants, impossibles à voir sans elles. Certains exercices consistaient à reconnaître des messages lumineux codés en morse. Tous les participants distinguaient clairement le scintillement, alors que sans lentilles, il restait totalement invisible. Ils ont aussi pu différencier plusieurs « couleurs infrarouges » -rouge, vert ou bleu- en fonction des nanoparticules injectées. Plus étonnant encore, les sujets voyaient encore mieux en fermant les yeux. L’infrarouge traverse en effet la peau des paupières plus facilement que la lumière visible, et cette filtration réduit les interférences.

Une aide potentielle pour les daltoniens

Les chercheurs voient un intérêt majeur pour les personnes daltoniennes. Le daltonisme touche environ 8% des hommes et 0,5% des femmes. Il ne s’agit pas d’une « vision en noir et blanc », mais d’une difficulté à distinguer certaines couleurs, le plus souvent le rouge et le vert. Pour compenser, les chercheurs ont imaginé d’utiliser les nanoparticules comme des « traducteurs de couleurs ». L’idée est de transformer une couleur qui pose problème vers une autre nuance plus facilement différenciable par un daltonien. Concrètement, une couleur difficile à distinguer, comme le rouge, pourrait être transformée en une autre nuance plus facilement reconnaissable, par exemple bleue ou violette.

Même sans infrarouge, ces lentilles pourraient modifier la lumière visible pour la rendre plus accessible aux yeux daltoniens.

Des limites à surmonter

Attention toutefois : cette prouesse a encore ses limites. L’image fournie par les lentilles est floue, sans détails fins. La raison ? Les infrarouges sont convertis trop près de la rétine, ce qui brouille la mise au point. Pour contourner ce problème, les chercheurs travaillent déjà sur des systèmes combinant lentilles et lunettes correctrices, capables de restituer une image plus nette. Autre limite : pour l’instant, les lentilles ne réagissent qu’à des sources infrarouges artificielles (comme des LED). Impossible donc de percevoir spontanément la chaleur d’un corps humain sans dispositif complémentaire. Mais l’équipe espère améliorer la sensibilité des nanoparticules pour élargir la gamme d’applications.

Une vision augmentée en ligne de mire

Et demain ? Les chercheurs imaginent déjà des lentilles capables d’amplifier la vision nocturne, d’aider les pilotes à traverser un brouillard épais, ou de permettre aux secouristes de localiser des victimes dans les décombres grâce à leur chaleur corporelle. Les ingénieurs évoquent aussi des usages plus quotidiens : lire des informations invisibles pour le commun des mortels, par exemple un code lumineux intégré dans un emballage ou un billet de banque. Leur coût pourrait rester inférieur à 200€, soit un prix abordable pour un dispositif aussi innovant. Bien sûr, il faudra encore attendre plusieurs années avant une éventuelle commercialisation. Mais une certitude se dessine : nos yeux, limités depuis toujours au spectre visible, sont en passe de s’ouvrir à un monde totalement nouveau.

https://www.cell.com/cell/abstract/S0092-8674(25)00454-4